Task 1: Vocabulary

FLORENCE JOU, ‘The Mapping Journey Project: la cartographie à l’état dynamique’.

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“Entre 2008 et 2011, la vidéaste Bouchra Khalili a réalisé The Mapping Journey Project, qui se compose de huit vidéos (…). Chaque vidéo présente le récit d’un migrant, dont le visage demeure toujours hors cadre: il trace ses déplacements au feutre sur une carte normative, filmée frontalement. Bouchra Khalili, avec ce projet, place la conversation, le croquis cartographique, l’improvisation et la réverbération au centre du processus de création, processus dans lequel l’écoute apparaît comme une base de travail incontournable. Cartes et récits s’élaborent dans leurs états fragiles et éphémères, comme si la connaissance du monde reposait davantage sur des gestes improvisés individuellement. C’est donc une autre perception de la cartographie qui est activée ici, par la fabrique de croquis formés de traces physiques. Et si oralité et cartographie se font écho, la relation entre voix et image propose une autre dynamique: quand l’expérience humaine s’appréhende par des gestes qui se réverbèrent, visibles sous forme de constellations…”

HORS CADRE:

CROQUIS:

RÉVERBÉRATION:

ÉPHÉMÈRES:

ORALITÉ:


Task 2: Reading comprehension

PATRICK JOLI, Interview with Bouchra Khalili.

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“J’étais adolescente au moment de la signature des accords de Schengen mais je me souviens très clairement de ses effets au Maroc. On l’oublie souvent mais l’abolition des frontières pour les citoyens européens à l’intérieur de l’UE a signifié pour ses voisins africains l’établissement de la règle du visa pour voyager en Europe. Au Maroc, jusque dans les années quatre-vingt-dix, obtenir un passeport était un privilège. Avec Schengen, au privilège du passeport s’est ajouté celui du visa. D’un coup, les portes de l’Europe se sont fermées à double tour pour ses voisins. Et, par voie de conséquence, les portes des pays africains se sont refermées sur leurs propres ressortissants. Ce dont je me souviens donc, c’est de l’obsession du départ qui s’est emparée de toute la jeunesse marocaine. La raison: ces jeunes n’étaient pas traités comme des citoyens dans leur propre pays qui ne leur offrait aucune perspective. Cette jeunesse ne partait pas en quête d’un eldorado mais d’un lieu où vivre comme des citoyens comme les autres. Vous remarquerez que la majorité des vidéos de cette installation se concluent par “je veux vivre comme tout le monde”, c’est-à-dire “comme ceux qui ont des droits”. Les histoires que l’on entend dans Mappings sont donc celles avec lesquelles j’ai grandi. Et, en tant que franco-marocaine, je vois aussi un continuum historique: est-ce que plusieurs générations auraient été contraintes à l’exil si les luttes d’indépendance n’avaient pas été confisquées par des régimes devenus très vite autoritaires?

Si cette œuvre peut sembler résonner d’une manière particulière avec l’actualité, c’est peut-être parce qu’elle renvoie le visage contemporain des nations occidentales, incapables de penser une citoyenneté hors du cadre de l’État-nation avec ses frontières érigées en clôture et dont la nationalité comme cadre de la citoyenneté forme l’ultime verrou. C’est pourquoi je me refuse à parler de “crise des réfugiés”, d’autant plus que la grande majorité des Syriens qui ont fui la guerre se trouve au Liban, en Jordanie et en Turquie. Ce que je vois, c’est une crise de l’État-nation occidental qui est de moins en moins démocratique au point de bafouer ses propres lois sur l’asile et le séjour. Il ne faut donc pas être surpris si des dirigeants ouvertement racistes sont élus un peu partout en Occident et si leur rhétorique est tranquillement reprise par d’autres dirigeants qui osent pourtant se présenter comme un rempart à l’extrême-droite. La chasse aux citoyens sans les “bons” papiers et la criminalisation de ceux qui leur viennent en aide est, à cet égard, symptomatique. La question que pose cette œuvre, si on la regarde attentivement, est donc simple: pourquoi un droit inaliénable comme celui à la mobilité a été érigé en privilège? Parce que le modèle de l’État-nation occidental avec son lourd passif et continuum colonial procède par exclusion pour définir l’appartenance citoyenne.

C’est pourquoi je ne parle jamais de cette œuvre en mobilisant les termes de “migrants” ou de “réfugiés”: pour moi, ce sont des citoyens privés de leurs droits. Ce n’est pas une question humanitaire mais une question politique qui, sur le plan esthétique, peut se formuler ainsi: jusqu’à quel point est-on prêt à regarder celui qui est privé de ses droits comme un égal? Et si ces récits sont faits avec calme et précision, c’est justement parce que les porteurs de ces récits se présentent comme des résistants à l’arbitraire. Ils sont des sujets politiques qui ont aussi un “droit à l’opacité” comme le disait Glissant. Un droit que le régime de surveillance de nos sociétés, tout comme le régime médiatique, leur refuse. C’est pourquoi les visages n’apparaissent pas dans ces films. Ces personnes nous tournent en effet le dos mais elles ont quelque chose à nous montrer: les “histoires” et la géographie qu’elles dessinent et performent présentent en creux une autre carte du monde où l’histoire et la géographie ne seraient pas le produit de dominations mais d’actes de résistance produits par ceux qui sont privés de tous les droits. Blackboard ou une pédagogie par les marges: c’est ce qui fait le lien entre The Mapping Journey Project et les projets qui ont suivi, toutes ces œuvres pouvant être comprises comme une méditation sur l’égalité, égalité devant le droit à la mobilité, égalité civique, égalité face à la représentation, égalité dans la relation”.


Task 4: Debate

JEAN-PHILIPPE CAZIER, Entretien avec Bouchra Khalili: ‘Ce qui m’intéresse, c’est ce qui n’a pas été archivé’.

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JPC: Une chose qui me frappe dans votre travail, c’est la façon dont vous placez au centre ceux et celles qui d’habitude sont à la périphérie, ceux qui sont rejetés hors de l’espace commun. Je pense aux migrants que vous filmez, qui ont la parole, qui disent par eux-mêmes leur propre histoire, qui sont porteurs d’un savoir et ne sont plus seulement les objets d’un discours qui les définit et les rend invisibles, inaudibles…

BK: Parce que pour moi, ce ne sont pas des migrants. D’ailleurs, ils ne se définissent pas comme ça. Ce sont des citoyens qui n’ont pas de droits, ce qui fait de la position de la France une honte. Savoir comment on en parle est une vraie question. Mais je préfère parler de citoyens sans droits, privés de leurs droits. Dans The Tempest Society, Malek qui est Syrien et qui est arrivé à Athènes depuis quelques mois, dit: “les gens m’appellent ‘réfugié’, mais je ne suis pas un réfugié, je suis un citoyen syrien exilé, un citoyen qui n’a plus de droits”.

JPC: De les filmer, comme vous le faites, de leur laisser la parole, de les inclure dans une sorte de communauté créatrice et politique, est un acte puissant. D’autant plus si on considère la chose en France, étant donné leur situation actuelle ici aujourd’hui – et pas seulement en France d’ailleurs mais partout en Europe.

BK: Pour moi, il s’agit d’une évidence. Je veux dire que la façon dont je me rapporte à eux et à elles est pour moi évidente…

JPC: En France, aujourd’hui, les migrants, ces citoyens sans droits, sont persécutés, pourchassés, ils sont frappés par la police, on les laisse dans la rue, on les laisse crever par milliers en Méditerranée, on leur refuse le droit à la libre circulation. Les considérer dans une perspective égalitaire, comme des sujets de leur parole et de leur histoire, les intégrer dans l’espace commun, c’est l’inverse de ce qui est évident pour l’Etat, pour la presse, pour une large partie de la population sans doute.

BK: Je suis originaire de Casablanca. J’ai été témoin du départ de toute une génération de Marocains qui avaient à peu près mon âge à l’époque, c’est-à-dire des adolescents ou des jeunes adultes. C’était en 1991, au moment de Schengen. Lorsque l’Espagne entre dans l’espace Schengen, ça devient encore plus massif. Les gens qui partaient et que je connaissais ne me disaient pas que l’Europe était un Eldorado. Ce qu’ils me disaient, c’est : “ici, nous n’avons pas de droits, nous ne sommes pas réellement des citoyens, peut-être que là-bas j’aurai la chance d’en être un, que je pourrai avoir des droits”. Evidemment, dans certains endroits se pose de manière cruciale la question de la survie, en raison d’une guerre. Dans ce cas-là, au sens du droit international, on parlerait de “réfugiés”, même si le droit international n’est pas respecté par la majorité des Etats européens. Mais ceux que je connais le mieux, ceux que l’on va donc appeler les “migrants”, je les ai toujours vus comme des gens qui aspirent à devenir des citoyens parce que là d’où ils viennent, ils ne le peuvent pas. Ils veulent être considérés, traités comme des citoyens. Donc, bien sûr, mon rapport à eux est différent de celui qui peut exister à partir de la France. (…)

JPC: Si on regarde les choses à partir de ce qui existe en France aujourd’hui, on voit, par exemple, dans les médias, comment les migrants ne parlent pas, comment ils sont toujours ceux que l’on va filmer dans telle situation particulière, et au sujet desquels on va parler mais sans les laisser parler, sans – pourquoi pas ? – les laisser filmer eux-mêmes ce qu’ils voudraient montrer de leur vie. Ce sont des objets, jamais des sujets. Ils ne nous sont montrés qu’à condition d’être objectifiés, comme des phénomènes de foire, des êtres exotiques, ce qui est une façon de les rendre invisibles, sans existence. Il faudrait peut-être rattacher ça à la façon dont la France a toujours filmé et photographié les peuples colonisés. Or vous, vous faites exactement l’inverse, radicalement, et c’est aussi cet aspect-là de votre travail qui, dans le contexte français et européen actuel, m’a enthousiasmé lorsque j’ai vu votre exposition au Jeu de Paume.

BK: Je suis sortie de l’école des Beaux-Arts en 2002. Quand j’étais étudiante, j’avais déjà commencé à produire des œuvres autour de cette question, parce que c’est une question que je connaissais et qui me hantait déjà. Il me semblait aussi que c’était une question majeure. Au début des années 2000, dans le sud de l’Espagne, j’ai été témoin d’opérations de sauvetage par des bateaux de la Croix-Rouge. Quand ces bateaux, après avoir secouru des embarcations, revenaient au port, il y avait plein de caméras de la télévision espagnole qui les attendaient sur le quai. J’avais l’impression que les journalistes savaient l’image qu’ils devaient produire avant même de rencontrer qui que ce soit. Ils savaient à l’avance comment il fallait filmer les gens. C’est quelque chose qui m’a frappée. Au final, ça produit les images que l’on voit depuis vingt ans: des corps souvent noirs, exténués, silencieux. Il s’agit en quelque sorte de pré-images. Les individus filmés paraissent interchangeables, et dans cette forme de représentation, de fait, ils le sont, puisque l’image existe déjà, à l’avance, et n’a plus qu’à être remplie avec quelqu’un, peu importe qui, mais ce quelqu’un n’intéresse pas ceux qui filment. Pour ma part, j’ai pris le parti inverse.

JPC: C’est pour ça que votre dispositif The Mapping Journey Project me paraît si important. Ce que l’on voit à l’image, ce sont seulement des cartes géographiques, et en off on entend telle ou telle personne qui introduit dans cette représentation géographique, politique, historique du monde son récit personnel, son existence concrète, sans jamais apparaître à l’image. Le dispositif prend le contre-pied exact de ce que vous décrivez au sujet de ces journalistes, des images qu’ils produisent, et qui correspond à une logique de la représentation. Dans votre cas, il n’y a pas de représentation mais un récit à la première personne qui existe aussi comme point de vue critique sur ce qui est représenté à travers ces cartes géographiques en impliquant tout un discours sur la naturalité des frontières, l’identité des Nations…

BK: Le poison, il est là, dans cette idée d’État-Nation dont la conception de la citoyenneté signe l’appartenance à un club exclusif.


LAROUSSE, Citoyenneté

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Situation positive créée par la pleine reconnaissance aux personnes de leur statut de citoyen.

Les questions que pose la notion de citoyenneté sont au croisement de la philosophie, de la politique et du droit. Elles connaissent aujourd’hui un regain d’actualité, autour de l’idée controversée d’une “crise de la citoyenneté”. Une telle formule montre que la citoyenneté doit être étudiée dans une perspective historique. En effet, elle n’a pas de contenu fixé une fois pour toutes : à partir d’un noyau de signification originaire, elle se caractérise plutôt par son incessante mobilité, reflet d’une longue série d’institutions et de conflits sociaux.

Juridiquement, la citoyenneté peut être définie comme la jouissance des droits civiques attachés à la nationalité, c’est-à-dire la jouissance de l’ensemble des droits privés et publics qui constituent le statut des membres d’un État donné qui les reconnaît comme tels. Dans ce sens, le citoyen est celui qui, appartenant à la “cité”, dispose de droits (droit de vote, d’éligibilité, d’accès à la fonction publique…), est soumis à des devoirs et doit respecter les lois au nom de l’intérêt général. Par exemple, on dit d’un électeur qui vote qu’il accomplit “son devoir de citoyen”.

Si la définition de la citoyenneté est étroitement liée à celle de la nationalité et originellement à la démocratie, elle s’étend au-delà de la nationalité, de la participation politique et de l’obéissance à la loi : les étrangers résidant par exemple en France bénéficient des mêmes droits économiques et sociaux que les nationaux, ainsi que des mêmes libertés fondamentales, et se doivent aussi d’obéir à la loi. La célèbre formule “citoyens du monde” démontre en outre la volonté de dépasser le cadre national, donnant une dimension universelle au concept.

Symbolique de la Citoyenneté

La citoyenneté procure un sentiment d’appartenance à une même communauté nationale ainsi que la possibilité d’une participation active à la vie publique et politique. Dès lors que l’État « délivre » le statut de citoyens à ses membres, ceux-ci peuvent s’en sentir redevables comme ils peuvent à tout moment invoquer la revendication de leurs droits fondamentaux. La notion de citoyenneté implique un rapport étroit entre l’État et ses citoyens, qui peuvent être déchus de leurs droits momentanément ou définitivement pour conduite “illégale”.

En outre, les fortes connotations symboliques de la citoyenneté telles que l’égalité et la responsabilité tendent à faire de l’identité citoyenne une qualité abstraite qui masque les inégalités concrètes de statut social: les droits sociaux des individus (travail, Sécurité sociale…) sont devenus des attributs de la citoyenneté depuis de nombreuses années; cependant, les contextes de crise économique peuvent laisser penser que la citoyenneté est une valeur relative, et qu’elle ne s’exerce jamais sur un pied d’égalité.


VIVRE ENSEMBLE, ‘Mémo[ts] à l’intention des journalistes pour parler d’asile et de migrations’.

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Le ou la journaliste face aux réfugiés, aux témoins

Donner la parole aux personnes réfugiées et requérantes d’asile est essentiel pour que leurs points de vue et leurs expériences soient entendus et partagés avec le grand public. Faire le lien avec la situation des droits humains dans leurs pays d’origine, la situation qu’elles ont fuie, mais aussi restituer les expériences, compétences et parcours de vie de ces individus, est une façon de casser les stéréotypes liés au statut et à l’étiquette qu’ils et elles peuvent avoir ici en Suisse. Cela permet de mettre en lumière les personnes derrière les catégories auxquelles elles sont souvent réduites, et de rendre compte des raisons de leur migration. Outre d’évidents problèmes de communication dus à la langue, leur témoignage nécessite des précautions particulières, liées à la peur de représailles dans le pays d’origine ou en Suisse, ou encore à des craintes quant à l’impact sur leur situation en Suisse. L’exposition d’une personne réfugiée ou requérante d’asile dans la presse et sur les réseaux sociaux, y compris dans les médias locaux, peut en effet signifier pour la personne concernée un risque:

a) de mettre en danger la famille restée au pays

Les personnes fuyant la persécution ont souvent des proches restés dans leur pays d’origine. Ceux-ci peuvent faire face à des représailles de la part de régimes autoritaires lorsque ces derniers prennent connaissance des déclarations faites par leurs proches en Suisse, voire même simplement l’identifient comme personne demandant l’asile à un autre pays.

b) de s’exposer à des menaces ou à des attaques par des sympathisant-e-s voire des agent-e-s du régime en Suisse

Certain-e-s réfugié-e-s politiquement actif-ve-s en Suisse peuvent être exposé-e-s à des mesures de représailles de la part de sympathisant-e-s du régime qu’ils ont fui et qu’ils dénoncent, voire même d’agent-e-s de ce régime ou de groupes armés non-étatiques.

c) de porter préjudice à sa procédure d’asile ou à sa situation personnelle en Suisse

Une déclaration publique peut avoir des conséquences importantes pour les personnes interviewées sans que celles-ci en mesurent toujours l’impact: amende pour quiconque “aura, en tant que requérant d’asile, déployé des activités politiques publiques en Suisse uniquement dans l’intention de créer des motifs subjectifs après la fuite” (art. 116 de la Loi sur l’asile); influence sur la procédure d’asile, dans la mesure où les propos publics peuvent être utilisés à charge sous l’angle de la “vraisemblance”, lorsque ceux-ci diffèrent, même légèrement, de ceux tenus en audition; risque d’expulsion d’une personne sans statut légal si elle est identifiable par les autorités.

Par ailleurs, raconter son parcours et être questionné-e sur celui-ci peut avoir pour effet de faire revivre à la personne certains événements difficiles, voire traumatisants (“retraumatisation”). Il appartient dès lors à l’éthique journalistique de trouver le bon équilibre entre la recherche d’informations et le respect de l’intimité de la personne. En raison de ces risques particuliers, il est primordial de:
-s’assurer que les personnes prêtes à témoigner, ou à être prises en photo, sont conscientes des risques liés à leur médiatisation;

  • respecter le désir d’anonymat et s’assurer que l’identité des réfugié-e-s désireux-ses de s’exprimer de manière anonyme ne soit pas reconnaissable (flouter les visages et les voix);
  • vérifier que toutes les personnes identifiables sur une photo ou une vidéo ont donné leur accord;
  • être au fait de la situation prévalant dans les pays d’origine (État de droit, pluralisme, respect des droits humains, conflits internes, infrastructures de santé, contexte économique, etc.).